mai 122010

Lettre ouverte aux écolos
 
Trois événements récents relatifs au désarmement nucléaire devraient susciter l’intérêt d’Europe Écologie et des Verts. Mieux encore, les faire réagir, publiquement.

Le désarmement nucléaire est dans l’air du temps. Le sujet était tabou durant la guerre froide, squeezé et tronqué avec le bras de fer relatif aux euromissiles, en hibernation depuis la chute du Mur de Berlin. Et voilà qu’il réapparaît dans le débat public. Même l’Église tente de ne pas se laisser dépasser et le Saint-Siège insiste désormais (depuis mai 2009), sur le fait que l’arme nucléaire n’est pas un moyen adapté pour construire la paix. Le Journal télévisé de France 2 s’est même fendu d’un pseudo sondage  pour savoir si la « disparition de la bombe atomique dans le monde nous paraissait possible »[1].

Est-ce étonnant ? Oui, si on considère qu’avec 1 % de la population mondiale, nous Français, vivons sur 1 % du territoire mondial et que l’arsenal nucléaire de notre pays représente à peine plus de 1 % du potentiel nucléaire militaire mondial. Non, si l’on prend la mesure que ce combat pour le droit de tout un chacun à la sécurité est vital, que la paix, un combat écologique de la première heure, est un bien public mondial auquel on peut difficilement renoncer, quelle que soit la répartition internationale de la menace de mort.

L’appel du 15 octobre 2009

Dans ce pays où la question de la prolifération nucléaire a fait l’objet d’un seul rapport de l’Assemblée Nationale, en l’an 2000, où le mot d’ordre est toujours de ne pas baisser la garde, la tribune publiée dans Le Monde du 15 octobre 2009 « Pour un désarmement nucléaire mondial, seule réponse à la prolifération anarchique », n’est pas passée inaperçue. La bande des quatre qui en appelle à des « initiatives plus radicales de la part des 5 puissances nucléaires officielles »[2] est composée du général Bernard Norlain, ancien commandant de la force aérienne, deux ex-premiers ministres de renom n’appartenant pas à la même famille politique (Alain Juppé et Michel Rocard) et l’ancien ministre de la défense Alain Richard. Si Juppé, l’homme de la « dissuasion élargie à l’Europe » est un nouveau converti, Michel Rocard n’est pas tout à fait un pacifiste de la dernière heure. Comme il l’explique lui-même dans une interview à l’hebdomadaire Planète Paix en janvier 2010 : « J’ai pris position dès 1994, je suis un des anciens membres de la Commission de Canberra [3] (…) aujourd’hui la conjoncture bouge à toute allure (…). Je souhaite que la France soit capable d’annoncer qu’elle ne désapprouve pas une perspective d’éradication générale de l’armement nucléaire et d’annoncer qu’elle est prête à y prendre sa place quand cela commencera à nous concerner (…) ».

Cet appel du 15 octobre, s’il n’a pas suscité beaucoup de vocations anti-nucléaire militaire chez les politiques, a réveillé quelques esprits. D’où l’apparition d’un autre appel intitulé : « Le désarmement nucléaire, c’est urgent aussi pour la France ». Celui-ci a recueilli les signatures d’une centaine de personnalités du monde intellectuel, associatif et politique dont une dizaine d’eurodéputés. Parmi eux : Denis Baupin, Dominique Voynet, Paul Quilès, ancien ministre de la défense, le biologiste Jacques Testard, Yves Cochet, la sénatrice Marie-Christine Blandin, la députée Christiane Taubira,[4].

Start II

Un autre événement est venu tourmenter le ciel européen et clarifier le paysage nucléaire mondial : à Prague, les présidents Barack Obama et Dimitri Medvedev ont signé un nouvel accord bilatéral de réduction de leurs armes stratégiques offensives baptisé START II. Le lieu est symbolique parce que c’est là que le 5 avril 2009, un président américain a pour la première fois reconnu que les États-Unis étaient « l’unique puissance nucléaire ayant eu recours à l’arme atomique ». C’est à cette occasion-là aussi que Barack Obama a déclaré de façon solennelle : « Nous [Medvedev et lui] chercherons à inclure dans cette entreprise [de réduction de ces armes de destruction massive] tous les États dotés de l’arme nucléaire ».

La France en décalage

Face à cette nouvelle, ce premier pas, une levée de boucliers ne s’est pas faite attendre. Eh oui, les « désarmement sceptiques » sont parmi nous. Ce sont les nostalgiques de la Guerre Froide, les adeptes effrénés du permis de détruire, et autres imposteurs. Pour ces négationnistes,  Hiroshima est un détail, le canif suisse ou la machette plus redoutables que l’uranium 235 ou le plutonium 239, et un ou deux bombardements sur le site de Natanz [5] pourraient être une opération moralement défendable puisque relevant du principe de précaution. Bref, des extincteurs d’étoiles comme dirait le poète. Essayons d’y voir un peu plus clair dans la rhétorique des adversaires du désarmement…

Le cocorico

La première salve  a consisté à s’approprier le succès des héros du jour pour figurer sur la photo de famille. Ainsi, à en croire Bernard Kouchner, « la France se réjouit que d’autres puissances nucléaires s’engagent sur la voie qu’elle a, ainsi que le Royaume-Uni, tracée depuis plus d’une décennie déjà, fondée sur une posture de stricte suffisance des arsenaux nucléaires »[6]. Cette déclaration du Quai d’Orsay datée du 8 avril 2010, fait la part belle à notre pays, pourtant pointé du doigt comme mauvais élève du désarmement. Mais surtout, elle laisse entendre que Paris et Londres sont sur la même longueur d’ondes. Alors que le collègue britannique de Bernard Kouchner,  M. Miliband, venait de déclarer que son pays  « se prononce en faveur d’un monde sans armes nucléaires et se tient prêt à participer aux conférences sur le désarmement »[7].

Le déni

Dans le registre « nous ne sommes pas des naïfs », les esprits critiques ont vite fait de minimiser voire de dévaloriser l’accord qui vient d’être signé. Ce qui vient brouiller les applaudissements de la veille, mais nous n’en sommes pas à une contradiction près ! Ainsi, la nébuleuse parisienne des « experts » considère qu’il s’agit d’un accord en trompe-l’œil et que passer de 2200 à 1500 têtes nucléaires opérationnelles représente ni plus ni moins que de la poudre aux yeux. On voudrait nous faire croire que START II représente à la fois un soulagement pour le complexe militaro-industriel russe, une opération de relations publiques pour le président-vedette Obama.

Et que peut gagner Paris dans cette affaire ?  START II est plutôt ressenti comme un cadeau empoisonné de la part d’une nation qui protège sa mini-panoplie de 242 têtes nucléaires! Bref, pour l’Élysée, comme pour le Quai d’Orsay, rien de nouveau sous le soleil : Moscou va faire des économies en procédant au tri sélectif de ses stocks rouillés. Washington, avec « l’idéologie abolitionniste » de Barack Obama, veut limiter l’exhibitionnisme nucléaire. Pourquoi ? Parce que ceci est la carte maîtresse pour mettre au pas ceux qui sont déterminés à enrichir de l’uranium de façon inopportune (l’Iran) ; et parce que les chances inexplorées de s’approprier le marché nucléaire civil seront compromises voire plombées si les centrales sont perçues (à tort ou à raison) comme des passerelles pour des ambitions militaires dissimulées.

L’OTAN à la rescousse

Enfin, dans le registre je-vous-ai-compris, nos politiques secondés par leurs experts rappellent — comme au temps des missiles à portée intermédiaire, Pershing et SS20 — que toute dénucléarisation doit avoir des limites. Nos experts sont-ils en manque d’outils de réflexion stratégique pour permettre à la France de peser sur les grands dossiers géostratégiques de demain ? En tout cas, ils sont quasi unanimes pour dire qu’ « un monde sans arme nucléaire serait sans doute plus dangereux que le monde d’aujourd’hui »[8]. L’idée d’une « zone de basse pression nucléaire »[9] semble, à leurs yeux,  plus séduisante.

Paris ne se limite pas à pointer du doigt les armes nucléaires tactiques russes que le nouvel accord START a zappées. Paris s’oppose à tout retrait des armes nucléaires américaines sur le sol européen. Et pourtant… certains bombardiers basés en Grèce et au Royaume-Uni ont été discrètement rapatriés ; si leur présence était si importante, comment se fait-il que personne n’en ait fait état ? Le fait les 250 à 480 bombes prépositionnées sur des bases en Europe soient mal sécurisées, que leur condition de stockage soit plus contestable que celle sur lesquelles veillent les autorités au Pakistan ne plaide pas en faveur de leur maintien ; il n’arrange pas l’accueil que les pays hôtes sont censés leur réserver. C’est d’ailleurs pourquoi cinq alliés[10] européens, dans la perspective de la conférence d’examen du Traité de Non Prolifération (TNP), vont demander expressément à Washington de mettre fin à cette présence mal vécue par les populations concernées.

Mais la France, hier encore à l’avant-garde de la défense européenne, se montre en 2010 plus otaniste que ses voisins, des voisins qui ont applaudi le retour du vilain petit canard dans le commandement militaire intégré ! Pour quelles raisons ? Si la thèse selon laquelle Paris serait « attaché à la dimension nucléaire de l’OTAN »[11] est peu crédible, de surcroît rejetée par les pères fondateurs de la force de frappe, le rapport du sénateur Chevènement[12] apporte un point de vue qui s’inscrit dans le débat général : cette dénucléarisation pourrait conduire les Russes à prendre en compte, au titre de l’OTAN, la composante aéroportée de la force nationale de dissuasion. Nous y voilà ! La France est prête à tout (ou presque) pour ne pas être entraînée dans l’« engrenage » des négociations internationales, comme l’écrit JP Chevènement.  Et tant pis pour
ceux qui, en amont de l’option zéro tant décriée, considèrent que le pays détenteur d’armes nucléaires n’est pas en droit de disséminer des armes de ce type sur d’autres espaces que le sien. Une mesure de non prolifération réclamée au fil des années par une majorité de pays du monde depuis …1975.

Une affaire d’identité nationale ?

Considérant cette succession d’événements, et de prises de position, à la veille de la conférence d’examen du TNP à New York où siègeront des représentants de 189 pays, on pourrait s’attendre à la sortie d’un communiqué de presse d’Europe-Écologie ou/et des Verts à l’occasion de ce débat. On aurait pu imaginer une voix qui acclame cette aspiration vertueuse, ce « rêve », comme dirait le président Nicolas Sarkozy[13], vers un monde sans armes nucléaires ; une vision que le locataire de l’Élysée réfute à tout prix comme si la force de frappe faisait partie intégrante de l’« identité nationale ». À quand un  Débat Public sur la stricte suffisance ? Sur l’agrandissement des installations près d’Île Longue ou encore sur la reconversion de l’arsenal de Cherbourg ?

Le TNP en toile de fond

Si la posture de stricte suffisance met Paris provisoirement à l’abri du courant “pacifiste” qui souffle de Washington à Moscou en passant par Londres,  l’avenir du nucléaire militaire français ne ressemble pas à un long fleuve tranquille. On ne peut pas être un donneur de leçon lorsqu’il s’agit de l’Iran et affirmer avec panache que l’emploi en premier de l’arme nucléaire est un must pour défendre ses intérêts vitaux. On ne peut pas se prétendre champion du désarmement nucléaire et refuser a priori (contrairement à la Grande-Bretagne et à d’autres) d’être associé à de futures réductions sous prétexte que nous vivons « dans un monde aussi dangereux »[14], que la vertu de l’exemple ne fonctionne pas, que le minimum (à 300 têtes !) n’est pas négociable ! On ne peut pas jouer solo dans le concert des puissances nucléaires (les “Cinq”) qui misent sur un succès du TNP à New York en mai 2010 et espérer ravir de gros contrats dans le cadre de la libéralisation du marché du nucléaire civil.

Admettons que START II ne soit pas la panacée. Encore faudrait-il se positionner par rapport aux tractations en cours : le désarmement nucléaire doit-il se réduire aux manœuvres de stigmatisations de certains outsiders en vue de les désarmer ? Cette tactique de diversion va-t-elle servir de prothèse à un TNP plutôt en sursis ? Au cas où les promesses de sécurisation des armements vont accroître la mondialisation de la demande de nucléaire civil, s’agit-il là d’un deal raisonnable ou d’un marché de dupes ?

Le désarmement, une valeur écologique

L’opportunité d’un texte « vert » sur cette actualité dépasse ces considérations iréniques ou géopolitiques. En effet, toute diminution de la militarisation de la planète Terre (surtout dans l’hémisphère Nord) a forcément des effets bénéfiques sur les écosystèmes ; la réduction de l’empreinte écologique des activités militaires (que le Protocole de Kyoto se garde bien de chiffrer) est une aubaine. À plus d’un titre. D’abord, la diminution des moyens de destruction de masse, la réduction des menaces de mises à mort par millions – qui s’accompagnent de stratagèmes pour se terroriser de part et d’autre – est en soi une entreprise de dépollution mentale et technologique. Si la décroissance n’est pas un mot d’ordre opportun et mobilisateur en temps de crise, la décroissance des ogives nucléaires peut rallier du monde !

L’accord START II, au-delà du symbolique, représente une entreprise de  purification du “climat” international et d’assainissement qu’un arrêt brutal des activités de l’aviation civile durant quelques jours ne pourra jamais égaler. À moins qu’on ignore, qu’on dénie… disons… Allègrement, l’impact des armes nucléaires sur nos environnements. En attendant d’évaluer la décarbonisation des moyens de défense, rappelons que le complexe militaro industriel est responsable à plus de 50 % de la pollution atmosphérique en Russie.

Last but not least, la réduction des arsenaux est une aubaine pour ceux qui se soucient du financement des dégâts du réchauffement climatique. Car les milliards de dollars non investis dans la maintenance d’arsenaux en surnombre pourront alimenter le fonds d’indemnisation pour les préjudices écologiques subis, un fonds que les Africains ont failli réclamer lors du sommet de Copenhague avant d’en être dissuadés par le président Sarkozy. Enfin, si par hypothèse Paris se laissait entraîner dans la vague de l’option zéro, Bercy ferait des économies. Ces économies pourraient bénéficier par exemple au fonds d’indemnisation des victimes des essais nucléaires qui se limite aujourd’hui à 10 millions d’euros, soit 24 heures de dépenses pour nos bombes[15] ; elles pourraient aussi combler le cas échéant le déficit de la sécurité sociale et/ou régler la question des retraites.

Certes, il faudra créer les conditions, les conditions politiques pour parvenir à un monde sans armes nucléaires. Certes, tout ne se joue pas dans les enceintes onusiennes, mais la France de M. Sarkozy a perdu-là une occasion de se taire. Les écologistes de tous poils, quant à eux, ont ici une belle occasion de se manifester et de se faire entendre sur un dossier complexe, en dépassant les refrains simplistes sur les bienfaits de la non-violence, sachant qu’il en va aussi de l’avenir de la politique de sécurité européenne, et …de leur crédibilité.

Ben Cramer

Notes

1 – Résultats rendus publics le 7 avril sur 7400 votants [remonter]
2 – Pourquoi pas  associer les quatre  autres dont Israël, Inde, Pakistan, Corée du Nord ? [remonter]
3 – Cette commission ne comptait que deux membres français, Michel Rocard et Jacques-Yves Cousteau. [remonter]
4 – cf. L’Humanité du 26 janvier 2010 et Politis [remonter]
5 – Seuls 18 % des Européens seraient favorables à une frappe contre l’Iran, Cf. sondage Wall Street Journal du 10 septembre 2009. [remonter]
6 – Nous graissons, ndlr. [remonter]
7 – Déclaration du 26 mars 2010 [remonter]
8 – Cf. Bruno Tertrais, note n° 09/09 de la Fondation de Recherche Stratégique [remonter]
9 – Cf. Rapport d’information du sénateur JP Chevènement intitulé Désarmement, non-prolifération nucléaires, sécurité de la France, page 9 + p. 55 [remonter]
10 – Allemagne, Belgique, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas [remonter]
11 – Cf. Le Monde 25-26 avril 2010 [remonter]
12 – cf Rapport d’information du sénateur JP Chevènement intitulé « Désarmement, non-prolifération nucléaires, sécurité de la France », page 158. [remonter]
13 – Cf. Le Figaro du 14 avril 2010 [remonter]
14 – Cf. déclarations de N. Sarkozy, le Monde du 12 avril 2010 [remonter]
15 – Cf. « Nuclear weapons : at what cost ? », Ben Cramer, Bureau International de la Paix, juillet 2009 [remonter]

http://ecolosphere.net/archives/1385-le-desarmement-nucleaire-tombe-du-ciel-lettre-ouverte-aux-ecolos/

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