mai 142010

Exactement de la même manière dont les antibiotiques ont contribué à l’émergence de super-microbes résistant aux traitements, l’utilisation quasi ubiquiste de l’herbicide Roundup par les agriculteurs américains a entraîné le développement rapide de nouvelles super-mauvaises herbes hyper-résistantes.

Les agriculteurs doivent faire face à des mauvaises herbes devenues résistantes au Roundup

Jason Hamlin, agronome spécialisé dans le conseil en matière de semences, examine des « mauvaises herbes » résistantes au glyphosate à Dyesburg (Tennessee)

Depuis quinze ans, Eddie Anderson, qui est agriculteur, pratique de manière stricte l’agriculture douce, une technique respectueuse de l’environnement qui élimine pratiquement les labours afin de lutter contre l’érosion des sols, ainsi que les épandages nocifs de fertilisants et de pesticides. Mais, cette année, rien ne va plus.

Il y a quelque temps, un après-midi, M. Anderson observait, tandis que des tracteurs parcouraient un champ, labourant et introduisant des herbicides dans le sol afin d’en éliminer les mauvaises herbes avant d’y semer du soja.

Exactement de la même manière dont les antibiotiques ont contribué à l’émergence de super-microbes résistant aux traitements, l’utilisation quasi ubiquiste de l’herbicide Roundup par les agriculteurs américains a entraîné le développement rapide de nouvelles super-mauvaises herbes hyper-résistantes.

Pour lutter contre ces mauvaises herbes, M. Anderson et les agriculteurs dans l’ensemble des régions américaines de l’Est, du Midwest et du Sud sont contraints de pulvériser leurs champs avec des herbicides de plus en plus toxiques, d’arracher les mauvaises herbes à la main et de recourir à des méthodes plus intensives en travail humain, comme le labour classique.

« Nous sommes revenus vingt ans en arrière », dit M. Anderson, qui labourera environ un tiers de ses 3 000 acres de soja ce printemps, soit bien plus qu’il n’en a labouré pendant des années. « Nous sommes en train de tout essayer, jusqu’à ce qu’on trouve un truc qui marche ».

Certains experts agronomes pensent que ces nouveaux efforts rendus nécessaires risquent de conduire à des prix plus élevés des produits alimentaires, à des rendements inférieurs des cultures, à une élévation des coûts de l’agriculture et à davantage de pollution tant des sols que de l’eau.

« C’est la plus grave menace pesant sur la production agricole que nous ayons jamais connue », dit Andrew Wargo III, président de l’Association des Réserves agricoles de l’Arkansas.

La première espèce résistante représentant une menace sérieuse pour l’agriculture a été repérée dans un champ de soja de l’Etat du Delaware en 2000. Depuis lors, le problème s’est répandu, dix espèces résistantes infestant, dans au minimum 22 états, des millions d’acres, principalement cultivées en soja, en coton et en blé.

Ces super-mauvaises herbes pourraient bien doucher l’enthousiasme manifesté par les agriculteurs américains pour certaines variétés génétiquement modifiées. Les semences de soja, de blé et de coton trafiquées de manière à résister aux pulvérisations de Roundup sont devenues chose courante dans les champs américains. Toutefois, si le Roundup ne tue pas les mauvaises herbes, les paysans ont peu de motivation à dépenser plus pour acheter ces semences spéciales.

Le Roundup – fabriqué initialement par Monsanto, mais vendu aussi par d’autres entreprises sous le nom générique de glyphosate – a été pratiquement un miracle chimique pour la plupart des agriculteurs. Ce désherbant tue en effet un large éventail de mauvaises herbes, est d’une utilisation pratiquement sans danger et facile, et il se dégrade rapidement, ce qui réduit son impact négatif sur l’environnement.

Les ventes de cet herbicide ont décollé en flèche à la fin des années 1990, après que Monsanto eut développé des variétés de semences OGM appelées Roundup Ready  [ prêtes à recevoir le Roundup ]. Ces semences, modifiées génétiquement afin de les rendre résistantes à cet herbicide, permettent aux agriculteurs de traiter leurs champs par aspersion afin de tuer les mauvaises herbes, ne laissant que les plantes cultivées utiles, intactes. Aujourd’hui, les semences Roundup Ready représentent environ 90 % des semences de soja et 70 % de celles de blé et de coton utilisées aux Etats-Unis.

Mais les agriculteurs ont épandu tellement de Roundup que certaines mauvaises herbes ont muté rapidement afin d’y survivre. « Ce à quoi nous sommes aujourd’hui confrontés, c’est à l’évolution darwinienne, mais en ultra-accéléré ! », explique Mike Owen, spécialiste des « adventices » [mauvaises herbes] à l’université de l’Iowa.

Aujourd’hui, des mauvaises herbes résistantes au Roundup comme l’érigéron du Canada et l’armoise géante contraignent les agriculteurs à renouer avec des techniques bien plus coûteuses, qu’ils avaient abandonnées depuis bien longtemps.

M. Anderson, notre agriculteur, est aux prises avec une espèce particulièrement tenace de mauvaise herbe résistante au glyphosate, appelée l’amarante de Palmer, ou « herbe à cochons », dont la variété résistante a commencé à infester sérieusement les exploitations agricoles de l’ouest du Tennessee l’année dernière seulement.

Cette amarante peu pousser de dix centimètres par jour et atteindre deux mètres, voire plus, et elle étouffe les récoltes ; elle est si coriace qu’elle peut endommager les moissonneuses. Tentant de tuer cette mauvaise herbe avant qu’elle atteigne cette taille monstrueuse, M. Anderson et ses voisins labourent leurs champs en enfouissant des herbicides dans le sol.

Cela menace de remettre en cause une des avancées agriculturales permises par la révolution du Roundup : le labour doux. En combinant l’herbicide Roundup et les semences Roundup Ready, les paysans n’avaient plus à labourer plus profondément que les racines des mauvaises herbes afin de les éradiquer. Cela réduisait l’érosion, l’infiltration de substances chimiques dans les nappes phréatiques et l’utilisation de fuel pour faire fonctionner les tracteurs.

Si des labours fréquents redevenaient à nouveau nécessaires, « cela représenterait certainement un danger grave pour notre environnement », met en garde Ken Smith, spécialiste des plantes adventices à l’Université de l’Arkansas. De plus, certains détracteurs des semences génétiquement modifiées disent que l’utilisation de quantités accrues d’herbicides, dont certains herbicides anciens moins tolérables, du point de vue environnemental que le Roundup, démentent l’affirmation de l’industrie biotechnologique selon laquelle ses semences seraient meilleures pour l’environnement.

« L’industrie du biotech nous entraîne dans une agriculture davantage dépendante des pesticides qu’elle ne nous l’avait promis, et nous devons absolument aller dans la direction opposée », dit Bill Freese, un analyste des politiques scientifiques travaillant au Centre de la Sécurité Alimentaire, à Washington.

A ce jour, les spécialistes des espèces herbacées estiment que le total des exploitations agricoles américaines affectées par les mauvaises herbes devenues résistantes au Roundup est encore relativement peu élevé – de 7 à 10 millions d’acres, selon Ian Heap, directeur de l’Observatoire International des Adventices Résistantes aux Herbicides, une institution financée par l’industrie des engrais chimiques. Il y a, en gros, aux Etats-Unis, 170 millions d’acres cultivées en blé, en soja et en coton, qui sont les cultures les plus touchées par ce phénomène de résistance acquise.

L’on trouve aussi des mauvaises herbes devenues résistantes au Roundup dans d’autres pays : en Australie, en Chine, au Brésil, notamment, selon cette même étude.

Monsanto, qui affirmait il n’y a pas si longtemps que la résistance des mauvaises herbes ne représenterait aucun problème majeur, met aujourd’hui en garde contre l’exagération de leur impact. « C’est un problème sérieux, mais il est gérable », a ainsi déclaré Rick Cole, qui dirige l’étude des problèmes de résistance acquise aux Etats-Unis pour l’entreprise Monsanto. Bien entendu, Monsanto risquerait de perdre beaucoup de son chiffre d’affaire si les agriculteurs utilisaient moins de Roundup et moins de semences OGM labellisée Roundup Ready.

« Vous devez désormais ajouter un autre produit au Roundup pour tuer vos mauvaises herbes », dit Steve Doster, qui cultive du blé et du soja à Barnum, dans l’Etat de l’Iowa, et qui interroge : « Par conséquent, pourriez-vous me dire pour quelle raison, au juste, nous continuons à acheter leurs satanées semences Roundup Ready ? »

Monsanto argue du fait que le Roundup continue à contrôler des centaines d’espèces de mauvaises herbes. Mais cette compagnie est tellement préoccupée par le problème qu’elle a pris l’initiative extraordinaire de subventionner les achats d’herbicides concurrents par les agriculteurs afin de supplémenter leur Roundup.

Monsanto et d’autres firmes du biotech agricole sont en train de développer, par ailleurs, des semences génétiquement modifiées qui soient résistantes aux autres herbicides [que le Roundup, ndt].

C’est ainsi que la firme Bayer vend des semences de coton et de soja résistantes au glufosinate, un autre herbicide et que la dernière semence de blé que Monsanto a mise au point tolère tant le glyphosate que le glufosinate, cette firme développant aussi des espèces résistantes au Dicamba, un herbicide plus ancien. La firme Sygenta développe quant à elle des semences de soja qui tolèrent son produit phytosanitaire, le Callisto. Et la Dow Chemical est en train de mettre au point du blé et du soja qui soient tolérants au 2,4-D, un composant de l’agent orange, un défoliant utilisé durant la guerre au Vietnam.

Reste que des scientifiques et des agriculteurs disent que le glyphosate est ce genre d’invention qui ne se produisent qu’une seule fois par siècle et qu’il faut prendre des dispositions afin d’en préserver l’efficacité.

Le glyphosate « est important pour une production alimentaire mondiale fiable, autant que l’est la pénicilline dans le domaine médical », a écrit Stephen B. Powles, un agronome australien, dans le numéro de janvier des Annales de l’Académie nationale (américaine) des Sciences.

Le Conseil de la Recherche Nationale, qui conseille le gouvernement américain pour les questions scientifiques, a lancé sa propre alerte, le mois dernier, disant que l’émergence de mauvaises herbes résistantes mettait en danger les profits substantiels que les semences génétiquement modifiées apportaient tant aux agriculteurs qu’à l’environnement.

Les spécialistes exhortent les agriculteurs à alterner le glyphosate avec d’autres herbicides. Mais son prix a chuté, tandis que la concurrence de versions génériques s’accroissait, afin d’encourager les agriculteurs à continuer à se reposer sur cette molécule.

« Il faut faire quelque chose », dit Louie Perry Junior, un cultivateur de coton, dont l’arrière-arrière-grand-père avait démarré sa ferme à Moultrie, dans l’Etat de la Géorgie, en 1830.

La Géorgie est un des états les plus touchés par l’amarante résistante au Roundup, et M. Perry nous a confiés que cette peste végétale risque de représenter une menace pour la culture du coton dans les états du Sud pire que l’insecte qui avait dévasté cette industrie au début du 20ème siècle.

« Si nous n’éliminons pas cette saloperie, ça sera pire que ce que l’Anthonomus grandis avait causé au coton », nous a dit M. Perry, qui est également président de la Georgia Cotton Commission, « elle causera sa perte ».

par William Neuman et Andrew Pollack

traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

Source : http://www.nytimes.com/2010/05/04/business/energy-environment/04weed.html?ref=business

Une réponse to “Les « mauvaises herbes » deviennent résistantes au Roundup.”

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